Il en avait le chignon tout tremblant, le jeune Antoine Griezmann à l’issue du match contre la Hongrie : « on avait nos habitudes avec le silence dans les tribunes et là, on ne s’entendait pas et, en plus, il faisait chaud ». Une véritable torture, donc, que les footballeurs de la nouvelle génération française ont dû endurer à Budapest. Imaginez donc : du bruit qui fait peur et de la chaleur qui fait suer. Un scandale ! Que font les défenseurs des droits humains ?
La nouvelle génération de sportifs a cela d’étrange qu’elle produit des génies purs, munis d’une technique et d’une condition physique exceptionnelles (merci les progrès de l’alimentation et de la médecine sportive) et, en même temps, dotés d’une ultra-sensibilité de compétition. Elle appartient donc bien à son époque : celle de la Snowflake Generation (génération flocon de neige) qui fond quand on lui souffle dessus. L’écrivain californien Bret Easton Ellis, qui lui a consacré quelques pages croquignolettes dans «White*», l’appelle aussi « Generation Wuss» (génération de mauviettes). Elle recrute principalement chez les milléniaux et les Gen Z sans, Dieu merci, les toucher tous.
Hypersensibles On reconnaît les « flocons de neige » au fait qu’ils pensent être uniques ou, à tout le moins, spéciaux (sans se sentir du tout obligé de le prouver) et que donc ils méritent toute l’attention du monde. Ils sont hypersensibles à la critique qu’ils considèrent comme une offense et communient volontiers dans la liturgie du politiquement correct. Ils sont totalement réfractaires au second degré. L’indignation est leur nourriture quotidienne et la résilience, en revanche, pas vraiment leur tasse de tisane. Privilégiant l’émotion sur la raison, ils s’attendent à ce qu’on élimine la difficulté plutôt qu’on les oblige à l’affronter. Et ça marche : l’école suisse a obtempéré en simplifiant l’orthographe. (Du coup, on attend, pourquoi pas, la simplification des maths. La suppression de la soustraction peut-être ? La plus difficile pour une génération habituée à additionner les privilèges…).
La fragilité et la légère sensiblerie qui fondent ce nouveau comportement social prend toute sa valeur, en creux, dans le sport-spectacle, le foot en particulier. Ce sont la force (souvent) et l’intelligence (souvent aussi mais un peu moins) qui font la différence et les manifestations d’ultra sensibilité créent d’intéressants contrastes.
L'émotion triomphe toujours Prenez le malheureux épisode du joueur danois qui s’écroule en plein match contre la Finlande à la suite d’un malaise cardiaque. Emoi démonstratif chez les joueurs danois qui passent sans transition du registre offensif 4-4-2 à celui du deuil sans même attendre l’arrivée du défibrillateur. Emoi encore plus marqué chez les commentateurs. A la télévision suisse, le premier réflexe du journaliste sportif est de s’insurger contre le direct: « des images qu’on ne devrait pas vous montrer ! » s’étrangle-t-il la gorge nouée (un curieux réflexe professionnel de la part d’un journaliste de télévision, non ?) avant de rendre l’antenne au studio. Là, l’émotion est à son comble : en proie à une sorte de sidération émotionnelle, les mignons animateurs sont au bord des larmes, leurs yeux de biche sont humides, leur voix blanche et leur vocabulaire encore diminué. On nage en plein « boul’d’hum » (jargon pour bouleversant d’humanité). On connaît la fin. Heureuse pour le cardiaque. Triomphale pour l’émotion.
Les footballeurs suisses y sont également allés de leur petite contribution sentimentale. Après s’être fait détester en oubliant de jouer contre l’Italie, ils ont chargé leurs communicants de récupérer la sympathie de la patrie. Et pour ça, quoi de mieux qu’une lettre ouverte, signée de l’entraîneur mais vraisemblablement rédigée par une petite main floconneuse qui en appelle aux grands sentiments : « Yann Sommer (le gardien de l’équipe nationale, ndlr) nous est revenu hier de son petit voyage aller-retour, en tant que nouveau père de sa fille Nayla. Ce fut un moment merveilleux pour nous tous. Les footballeurs et les entraîneurs ont des sentiments, des inquiétudes, des peurs et des joies comme tout le monde. Nous sommes tout aussi vulnérables. » Une profession de foi spécialement infantile. Mais peut-être s'agissait-il d'une feinte pour mieux surprendre le Français ? Mbappé se voyant déjà tromper facilement un portier post-parturient ?
Faut-il interdire le roumain ?
Mais le pire est sans doute dans le militantisme. Lorsque nos amis sportifs se lancent dans le virtue signalling et veulent à tout prix montrer qu’ils savent débusquer la mal-pensance, la catastrophe vaudevillesque n’est jamais loin. C’est arrivé en décembre de l’année dernière, à Paris, lorsqu’un arbitre demande à son collègue, roumain comme lui, de désigner un acteur du match parmi plusieurs pour l’expulser. Le malheureux répond en roumain « negru », ce qui signifie le noir (et non pas le nègre), pensant désigner la personne par ce qui la différencie des autres, la couleur, (pas la race). Comme il aurait dit « le blanc » pour désigner un blanc dans un groupe de noirs. La linguistique et les langues néo-latines ne figurant manifestement pas au programme de formation des sportifs et des journalistes du même métal, l’occasion était trop belle : tollé anti-raciste garanti. Black Lives Matter en version soccer. Polémique mondiale et éditos hurlants. L'arbitre malheureux suspendu et en "programme d'éducation". De l’indignation en réserve pour des dizaines de matches entamés genou à terre.
Au fond, cette génération si cute, comme elle aime le dire à propos de tout, nous pousse en dernier ressort à lutter, avec elle, contre le réchauffement climatique. En effet, il serait dommage que nos jolis flocons ne s’évaporent avant d’avoir mis le pied sur cette terre qu’ils tiennent tant à sauver. Je vous promets que la vie serait moins drôle sans eux. Parole de boomer.
* White : Bret Easton Ellis, 2019, Pan Macmillan Publisher. BEE est l’auteur de American Psycho et Less Than Zero.
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