« Si vous êtes à court de papier toilette, il vous reste toujours le New York Times ». Comme nombre de ses collègues de la sphère médiatique américaine, Greg Gutfeld ne retient pas les coups. Entre Fox d’un côté et CNN, le New York Times, MSNBC de l’autre, la guerre fait rage et même l’union sacrée face à l’adversité qui prévaut généralement aux Etats-Unis lors de graves crises ne parvient pas à calmer le très délétère climat médiatique américain. Comment en est-on arrivé là ?
Bret Easton Ellis, l’auteur des best-sellers American Psycho et Less Than Zero tente une explication dans son dernier ouvrage White paru l’an dernier. « Au cours de l'été 2015, […] quelque chose d'étrange se produisait qui ne semblait pas normal : les médias traditionnels auxquels j'avais fait confiance pendant toute ma vie d'adulte, ces vénérables institutions comme le New York Times et CNN, ne suivaient pas ce qui me semblait être une réalité mouvante. L’écart entre ce que je voyais se passer sur le terrain – par le biais des médias sociaux, d'autres sites d'information et simplement de mes propres yeux et oreilles – et ce que ces médias rapportaient est devenu flagrant comme jamais auparavant. ». L’été 2015 a été marqué par le début de la campagne qui a abouti en novembre 2016 à l’élection de Donald Trump. Comme le reste de la gauche américaine, les médias qui la soutenaient n’ont jamais pu accepter leur défaite. Dès le premier jour, le vainqueur d’Hillary a suscité, chez eux, une haine profonde, violente, systématique et, surtout, obsessionnelle : le « Trump Derangement Syndrom » dont Bret Easton Ellis pourtant de gauche, gay et Californien, relevait les premiers signes en 2015 et qui a trouvé une sorte d’apogée lorsque Barbra Streisand s’est plainte de prendre du poids à cause de Trump. Un trouble obsessionnel aggravé et attisé, dans ces médias, par l’humiliation liée à la disruption engendrée par les fameux tweets du Président. By-passés par la communication directe, non-intermédiée par eux, c’en était fini de la vieille connivence presse-politique où chacun se tient par la barbichette.
Les chiens sont lâchés
Nous voilà, donc, en présence de deux camps plus opposés que jamais depuis la présidence Trump, très clivés gauche-droite selon les lignes de démarcation habituelles aux Etats-Unis : rôle du Gouvernement, de l’économie, liberté de marché, système de santé, etc. Sur la forme, les deux camps opèrent plus ou moins de la même manière. Ils lâchent les chiens en Prime Time (début de soirée).
Chez Fox, ce sont Tucker Carlson, Sean Hannity et Laura Ingraham. Chez CNN, Anderson Cooper, Chris Cuomo et Don Lemon. Ces éditorialistes pratiquent la surenchère dans la prise de position politique. Ils n’ont aucun souci d’objectivité. Au contraire, leur but est de rallier des opinions autour de leur idéologie : conservatrice ou libertarienne chez Fox, «liberal» (centre gauche) ou socialiste chez CNN et le New York Times. Dans chacun de ces réseaux, se trouvent aussi des journalistes, non éditorialistes, qui tentent avec un succès variable de ne pas faire valoir leur penchant dans la livraison de l’information. Fox a par exemple récemment organisé trois « Town Hall » dans le cadre de la campagne présidentielle américaine. L’excellent Bret Baier a remarquablement animé, en compagnie de sa collègue Martha Mc Callum, ces débats publics, l’un avec Donald Trump, les deux autres avec Bernie Sanders et Amy Klobuchar (candidats à l’investiture démocrate). Des débats menés sans complaisance particulière pour Trump, ni agressivité déplacée pour les deux autres. Enfin, sur le plan de la diversité et du politiquement correct, les deux camps sont très prudents avec une égale proportion de présentateurs blancs, noirs, marrons et… obèses. Le tout également en version féminine ou indéterminée bien sûr.
Anderson Cooper, mannequin, journaliste et descendant de la riche famille Vanderbilt
Sarcasme versus mépris
Sur le fond et au-delà de leur positionnement partisan (Fox proche des Républicains et CNN et al. proches des Démocrates) de profonds antagonismes se marquent. Fox s’adresse clairement aux patriotes américains. Elle flatte volontiers le sentiment de grandeur nationale qui leur est chère. Elle est proche des Américains de la classe moyenne, bien éduquée et peu fortunée, sur l’ensemble du territoire. Elle accorde beaucoup d’importance à l’économie, n’a pas encore renoncé au « rêve américain » et montre volontiers un certain optimisme quant à l’avenir du monde, parfois limité, il est vrai, à l’Amérique du Nord. Chez les éditorialistes, le ton dominant est plutôt au sarcasme et à l’ironie qui trouvent une cible parfaite avec la bien-pensance dans son spectre large (égalité, diversité, propreté, inclusivité, fiscalité, etc.) A l’inverse, CNN et al. s’adressent plutôt aux élites, aux intellectuels et aux privilégiés des villes côtières, y compris Hollywood, capitale mondiale de la gauche caviar. Aux milieux dont sont issues leurs principales vedettes, en fait : Anderson Cooper est un ancien mannequin, issu de la famille Vanderbilt, l’une des plus grosses fortunes de l’histoire américaine… Chris Cuomo est le frère d’Andrew, gouverneur démocrate de l’Etat de New York et le fils de Mario ex-gouverneur du même état. Là où Fox fait vibrer la corde patriotique, CNN agite la bien-pensance. Championne de la supériorité morale dans laquelle la gauche se drape depuis l’ère Obama, elle détient la vérité et n’accepte donc pas volontiers la contradiction. Il n’est pas rare de voir un débat, jugeant des méfaits de Trump, bien sûr, composé uniquement de collaborateurs maison et d’un ancien membre de l’administration… Obama. Cherchez la contradiction ! La tentation de la censure n’est pas loin : un éditorialiste a réclamé récemment l’interdiction sur les réseaux de Babylon Bee, un site satirique qui prend volontiers CNN pour cible. Ici, le ton est plutôt à la haine indignée, la haine des Justes. Une haine méprisante légitimée par le combat pour la justice sociale. Quant à l’avenir vu par CNN, comment dire ? On a le choix au mieux entre l’effondrement (bien mérité) du capitalisme, l’incendie planétaire ou, ultime cauchemar, la réélection de Donald Trump.
La sanction du public
Les chiffres d’audience sont sans équivoque. Entre eux deux, CNN (1 million de téléspectateurs en février dernier) et MSNBC (1,7 million) n’atteignent que les deux tiers de l’audience de Fox News (3,5 millions). L’émission la plus suivie de cette dernière est celle de Sean Hannity, un fidèle supporter du Président. Chez CNN, c’est celle de Chris Cuomo, un fidèle contempteur du Président. Atteint du coronavirus, il a suspendu son show mais témoigne régulièrement de l’évolution de sa condition et soutient son frère dans la gestion de la crise à New York.
La dynastie Cuomo fait le show: Chris de CNN (à dr.), mis sur la touche par le virus et son frère, Andrew, Gouverneur démocrate de l'Etat de New York. Ils interviennent régulièrement ensemble pour rire et se féliciter. On parle désormais aux Etats-Unis du Cuomo Comedy Show
En dépit de ce léger déséquilibre, tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes médiatiques. Des médias forts et indépendants, très clivés mais équitablement répartis selon les sensibilités politiques, bénéficiant de toute la liberté d’expression garantie par le 1er amendement et sans distorsion de la concurrence venue d’un média d’Etat de service public financé par l’impôt (comme en Suisse et en Europe). Un monde parfait donc ? Aux Etats-Unis sans doute où les consommateurs d’information peuvent ainsi opérer librement leur choix. Pas du tout en revanche pour le reste du monde.
Distorsion à l’international
Lorsqu’il a créé CNN en 1980, le milliardaire géorgien Ted Turner a eu l’excellente idée d’insuffler à son tout nouveau réseau de nouvelles une dimension internationale. En quelques années, CNN International s’est imposée dans le monde entier. Peu d’hôtels aujourd’hui et de réseaux cablés à travers le monde ne proposent pas la chaîne d’Atlanta dans leur service. CNN est donc le canal à travers lequel les audiences non américaines s’informent, notamment au sujet des Etats-Unis. Plus liée à son public cible, Fox News ne se soucie pas beaucoup de l’étranger et laisse le champ libre à sa rivale. Résultat : l’opinion internationale est fortement influencée par le biais d’un canal qui reste un média d’opinion malgré ses tentatives répétées de se présenter comme un média obsédé par la seule vérité des faits.
La difficile mission des correspondants
Autre source de distorsion de l’information concernant les Etats-Unis : les correspondants. Depuis que le monde a rétréci, que l’information est accessible en direct et sans intermédiation, le métier de correspondants à l’étranger montre des signes d’extinction. A l’exception des médias de service public, qui se gèrent sans logique économique, peu d’organes de presse peuvent encore s’offrir les services d’un correspondant à l’étranger. Les Etats-Unis sont toutefois le dernier endroit dans le monde où l’on s’efforce d’en maintenir. Souvent dans des conditions difficiles : ils ne sont pas proches des cercles de décisions, sont rarement accrédités dans les événements décisifs, doivent parfois cumuler plusieurs jobs à la fois pour s’en sortir. Alors que font-ils ? Comme tout le monde : ils s’informent à travers les médias américains. Compte tenu de l’inclination commune dans la profession, on peut parier sans risque sur CNN, MSNBC et New York Times plutôt que Fox News, même si, comme on l’a vu, cette dernière semble plus représentative de la sensibilité profonde de la majorité des Américains. Pour preuve : ne sont pas rares ces soi-disant « plongées » au cœur de l’Amérique profonde où les correspondants se mettent en apnée pour se confronter aux « Trump Voters » et produire des reportages débordants de mépris condescendant à l’égard de ces « Red necks » (pauvres ploucs) qui n’ont pas encore découvert les vertus de l’avocat et de Greta.
Pour autant qu’elle ne soit pas reportée, ce qui paraît tout de même improbable, l’élection de novembre et la campagne qui la précède seront plus difficiles à appréhender pour ceux qui se contenteront de l’information déséquilibrée qui parvient en Europe. Multiplier les sources en ajoutant notamment Fox News (une application est disponible) à un univers pas assez riche et contradictoire est certainement recommandable et bon pour la tête.
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