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  • Writer's pictureChristian Jacot-Descombes

Une grande radio pas de gauche. Enfin !  


Il faut bien l’avouer : le départ de Nicolas Canteloup m’a fait douter. Que toute une série de légendes quittent la station après des décennies de fidélité n’est pas une catastrophe, mais la disparition du numéro quotidien de l’imitateur sur le coup de 8h45, c’est autre chose. Europe 1 se relèvera-t-elle de l’absence de ses versions hilarantes d’Anne Hidalgo, niaise et nasillarde ou de Macron, malin et prétentieux (deux de ses personnages les mieux réussis) m’angoissais-je en auditeur fidèle de la station qui, il y a longtemps déjà, enchantait mon adolescence ?

Eh bien oui.

Rapide rembobinage : depuis près de dix ans, l’audience de la plus fameuse des premières stations libres de France connaît une forte chute d’audience : près de la moitié de son auditoire évaporée depuis 2010. De nombreux remaniements de grille n’y changent rien jusqu’à l’été dernier où, à la faveur d’une OPA de Vivendi - le groupe de Vincent Bolloré - sur Lagardère, propriétaire d’Europe 1 et de nombreux médias, le grand ménage est lancé. Exit les vieilles gloires, dont Laurent Cabrol et Julie (près d’un siècle de fidélité à la station à eux deux !) et place à la relève. Un risque car l’on sait bien que l’auditeur ne déteste rien tant que le changement de ses habitudes.

La grande peur du camp du Bien

Or, ce ne sont pas les auditeurs qui ont protesté. C’est une partie de la rédaction et les autres médias. Une grève de six jours, inédite à Europe 1, a permis aux plus vieux cadors, tels Patrick Cohen soutenu par Anne Sinclair, de dire leur indignation et leur peur de voir disparaître la fameuse neutralité et l’indépendance journalistique qui les animent. Les mêmes valeurs qui, en même temps, ne les poussaient pas à s’offusquer de la propagande écolo-politique quotidienne que la brave Fanny Agostini distillait jusque-là sous un vernis de « conseils pour la planète ».


Sonia Mabrouk, une digne successeuse de Jean-Pierre Elkabbach, munie de redoutables punchlines

La bien-pensance outrée a atteint son paroxysme avec Libération, toujours prompt à donner le ton dans le camp du Bien, qui s’en est pris à Sonia Mabrouk, l’excellentissime journaliste d’origine tunisienne remarquable meneuse de débats sur Europe et CNews. « Directrice de la réaction », « égérie de la droitosphère », «brushing à la Fox News » : les termes employés, largement en dessous de la ceinture, ne témoignent, dans le fond, de rien d’autre que la grande peur de l’élite de gauche, qui archidomine le paysage médiatique, de perdre du terrain au profit de journalistes qui auraient l’outrecuidance de ne pas penser juste. Car, oui, il en existe. En France à tout le moins. On les trouve notamment sur CNews, où officiait Eric Zemmour jusqu’il y a peu et qui appartient à… Vincent Bolloré. D’où la grande peur chez les Justes. Et pour une fois, leurs craintes n’étaient pas vaines. C’est bien un sérieux rapprochement qui s’est opéré entre la radio et la chaîne d’info continue. Un rapprochement qui fait sens du point de vue de la ligne éditoriale autant qu’économique. Les uns et les autres officiant en synergie, certaines émissions étant même diffusées simultanément en TV et en radio, donnant ainsi raison au grand homme de radio José Arthur qui ne manquait jamais de rappeler que la supériorité de la radio sur la TV tient au fait que la première peut se passer d’images.

La politique et la cuisine

La nouvelle grille d’Europe 1 applique une recette originale qui a tout pour plaire au public français. Elle repose sur deux ingrédients majeurs : la politique et la bouffe. L’info est renforcée dans ses créneaux traditionnels, notamment dans la matinale et l’espace laissé libre par Canteloup sous un angle ultra politique centré sur le débat et les tribunes. Quant à la cuisine, elle s’invite à toute heure grâce aux talents de deux remarquables connaisseurs.

Deux femmes et un Ukrainien aux avant-postes de l’info

Aux commandes des grands rendez-vous de l’info en synergie avec CNews : Sonia Mabrouk et Laurence Ferrari. La première reste la digne héritière de son mentor Jean-Pierre Elkabbach (qui revient à l’antenne sur la chaîne de ses débuts). Il ne fait toujours pas bon passer dans son viseur si l’on transige avec quelques solides valeurs républicaines qui lui sont chères. La pauvre Sandrine Rousseau, candidate présidentielle éco-féministe évoluant en stabulation libre dans l’univers autistique de la cancel culture, en a récemment fait les frais. Tout comme la ministre du budget, Agnès Pannier-Runacher, accueillie par un impératif « joyeux Noël !», introduisant la discussion sur les « cadeaux » du prochain budget au nom de la relance. Il faut encore noter que Sonia Mabrouk a déniché, pour l’accompagner dans les débats une véritable pépite en la personne de Mathieu Bock-Côté, un esprit agile et un regard frais venu du Québec, qui délivre un véritable scoop : non, les sociologues ne sont pas fatalement tous de gauche.


Dimitri Pavlenko pointe les vrais sujets, sans tabous : immigration, insécurité, laïcité...

Pas dénué de talent et d’intelligence non plus, Dimitri Pavlenko a pris les rênes de la matinale. Vif et cultivé, il maîtrise les débats et les entretiens avec une aisance qui n’a rien à voir avec la décontraction autosatisfaite de son prédécesseur Matthieu Belliard. En période de brusque lancement de la campagne présidentielle, Pavlenklo et ses camarades pointent les vrais sujets, sans tabous : immigration, insécurité, laïcité, nucléaire, etc. et se montrent très réactifs : ils sont les premiers à recevoir Bertrand Piccard à la sortie de son livre proposant de remettre un peu de raison dans le débat environnemental.

Une info renforcée et nerveuse où il est vrai que le débat a remplacé, en grande partie, le travail d’investigation si cher à la profession et ses traditions. Mais, dans le fond, qui demande de l’investigation ? On voit bien que les grandes enquêtes, Panama Papers, Paradise Papers ou encore Pandora Papers ont, en dehors du microcosme, à chaque fois moins d’impact. A quand les Panini Papers ?

Un Belge aux fourneaux

Côté cuisine justement : deux stars. Laurent Mariotte sait comme personne exploiter la convivialité de la cuisine pour que, sous la torture d’une Cancoillotte bien crémeuse, ses invités se mettent à table. Et ça marche : ils se dévoilent sous un jour neuf. Entendre Amélie Nothomb dire sa passion du champagne est… enivrant. Olivier Poels, lui, est belge d’origine mais français d’estomac. Il pratique une sorte de guérilla urbaine culinaire au niveau de la chaîne. Il intervient à tout moment avec des rubriques gourmandes autant qu’érudites dans nombreuses émissions au fil de la journée. Toujours prêt à dégainer la recette du poulet à l’estragon ou du mi-cuit au wasabi.

Un Suisse à la barre de l’humour

Le 26 septembre 1985, Coluche lançait un appel à la solidarité sur Europe 1 et fondait les Restos du Cœur.

Faire dans l’humour à Europe 1, n’est pas chose facile. C’est un segment prestigieux de l’ADN de la chaîne dont un des studios porte le nom de Coluche, ce type qui anima quelques émissions culte de la station à la fin des années 70 comme « On n’est pas là pour se faire engueuler ». Une liberté de ton, de vocabulaire et un maniement du second degré (dont le 21ème siècle a été amputé pour cause d'obésité morale) qui lui vaudrait au minimum la prison aujourd’hui pour autant qu’il ait eu la chance d’échapper à la décapitation.

Canteloup et Anne Roumanoff évacués, le lourd héritage du rire repose désormais à Europe 1 sur les épaules d’un grand gaillard répondant au nom de Matthieu Noël. Il répète à satiété qu’il est le Suisse de la bande. Effet de manche. Pas plus suisse que le Pape n’est italien, il est né à Genève au hasard d’une mission de ses parents traducteurs à l’ONU. En témoigne son incapacité à prononcer correctement le nom d’un lieu suisse en dehors de sa ville natale, comme lorsqu’il se vante faussement d’avoir échangé des balles avec Federer à Ecublansse.


Matthieu Noël, un esprit vif et agile. Il fait oublier Canteloup. C’est tout dire.

Il intervient dans la matinale où il plaide avec autant de talent que de mauvaise foi les causes les plus impossibles et l’après-midi dans « Historiquement vôtre » où il joue admirablement le faux faire-valoir de Stéphane Berne. En compagnie d’Olivier Poels, David Castello-Lopes (beaucoup plus drôle ici qu’à la RTS) et Clémentine Portier-Kaltenbach (une intelligence supérieure comme les familles françaises protestantes savent en accoucher), les deux s’entendent à merveille et produisent deux heures de pur bonheur radiophonique en racontant « l’histoire sans se la raconter ». Matthieu Noël est une perle rare, un esprit vif qui a fait du détournement des propos hors antenne de ses collègues sa marque de fabrique. Il fait oublier Canteloup. C’est tout dire.

Emerger du vacarme


Le pari d’Europe 1, version Bolloré et abhorrée de l’élite du métier qui y voit bien sûr une dérive populiste, comme à chaque fois que son écrasante domination autoproclamée «progressiste » est contestée, réussira-t-il ? Les résultats d’audience de la nouvelle grille ne sont pas encore publics. En revanche, ceux de la grille d’été, après le départ des anciennes gloires, sont prometteurs. Quoi qu’il en soit, on ne peut que l’espérer tant il est important de tendre un micro à ceux qui défendent des valeurs – liberté, prospérité, innovation, esprit d’entreprise, progrès (scientifique notamment) – rendues inaudibles par le vacarme de la pensée médiatique unique.

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