Que confie-t-on, en Suisse romande, à des jolies puéricultrices le week-end et à un grand mélancolique la semaine ? Le Téléjournal.
Aux infos de la RTS, on vous parle comme à un môme de 5 ans le samedi-dimanche et comme à un compagnon de cellule la semaine. Lorsqu’à 20h00, on bascule enfin sur TF1, c’est pour réaliser qu’on est passé de la version de l’actualité pour les enfants et les mal-comprenants à celle pour les adultes. Sur la forme, il y a désormais la même différence entre l’info sur le service public suisse et celle de TF1 qu’entre la pub suisse et celle de nos voisins.
Insuffisante sur la forme, soit. Mais qu’en est-il du fond ? Depuis toujours, encore plus depuis que son financement par l’impôt est contesté, la SSR plaide pour la qualité supérieure de son info et une proximité unique dont elle s’autoproclame garante : « si on n’est pas là, qui pour vous narrer le Conseil Fédéral et les coulisses du Palais ? ». Info ou intox ?
Revenons sur la semaine :
TJ de dimanche et la crise Crédit Suisse
19h30 : on sent notre spécialiste de la petite enfance au bord de la panique. La reprise du CS par UBS constitue un sujet doublement repoussant : de l’économie mâtinée de finance. Une hantise : c’est le cœur du Mal dans cette rédaction biberonnée à Thomas Picketty et Greta Thunberg. En plus, gérer un direct avec des conseillers fédéraux qui parlent anglais et finance : le cauchemar. Aargh, vite ! Retour en studio !
Deux invités sont conviés pour expliquer et commenter : un banquier – ça paraît logique – et une journaliste de la presse écrite, brillante et excellente analyste (bien qu’elle ait prédit la fin du dollar il y a déjà douze ans, ce qui fait un peu d’elle le GIEC du billet vert). La RTS n’a donc pas de journaliste in-house pour nous expliquer le naufrage CS ? Apparemment pas. Il y a bien une cheffe de rubrique économique rebaptisée Eco-techno-conso (il est clair que l’économie est un domaine trop simple et étroit pour avoir un traitement à lui seul) mais elle est noyée dans ses notes. On ne sait toujours pas si elle a refait surface.
Après un long moment de solitude, douloureusement partagée avec une large audience, à jongler entre la conférence de presse inaudible du conseil fédéral et les explications techniques un peu trop complexes pour la maîtresse d’école de service, voici enfin le moment de soulagement : le commentaire des politiques. Ouf ! Nous voici en terre connue (et maîtrisée) celle de l’émotion et de la morale.
Ils sont deux, un de chaque bord. L’un et l’autre vaguement fringués « casual » et également outrés. Ils partagent sans doute aussi le même spin doctor qui leur a glissé : « c’est dimanche, coco : ni rasoir, ni cravate comme le beauf qui a voté pour toi et ne quitte pas son survêt’ de la journée ». Celui de gauche s’habille manifestement chez SDF au rayon gueule de bois. Il lâche bruyamment son indignation dans un râle pâteux. C’est Mélenchon sans l’éloquence, le comble de l’inutile.
Parcouru par un vague sentiment d’urgence mais aussi animé par la perspective d’un bon sujet social comme on les aime à la RTS (la perte de milliers d’emplois), on enchaînera avec une édition spéciale. Un demi-rédacteur-en-chef (une spécialité RTS) prend la relève de l’amie des tout petits, mais le contenu ne change pas.
On voit donc que sur la qualité, la RTS performe de manière assez médiocre. Quant à sa proximité autoproclamée et son incomparable capacité d'infiltration des lieux du pouvoir, la même affaire, on ne peut plus suisse, a révélé une cruelle vérité. L’infiltré ne travaillait pas pour la SSR mais pour le Financial Times. Entre le journal britannique et la SSR, il y avait un décalage horaire d’environ quatre heures. A tel point que le service public ne rapportait plus l’actualité, mais les infos du FT : « selon le FT, le CS serait racheté par UBS ». On savait déjà que le service public dans les médias s’exerce sans fierté : on y accepte volontiers d’être payé par des gens qui ne vous aiment pas, mais là, un nouveau sommet est atteint.
L’ « Affaire » Dittli :
Durant la même période, fidèles à leur tropisme politique et à leur vocation manquée d’agent du fisc, les enquêteurs RTS ont cherché, dans les déclarations d’impôt de la nouvelle conseillère d’Etat vaudoise du Centre, des failles qui leur permettent de venger, voire annuler à terme, le basculement de majorité de gauche à droite au gouvernement vaudois. Se faisant ainsi, sans honte, le bras armé du camp du Bien, la gauche mauvaise perdante et revancharde. Mal leur en a pris : une enquête indépendante a depuis démontré qu’il ne s’agissait que d’un tuyau percé. Le montant de l’optimisation fiscale s’élevant à CHF 187.- soit beaucoup moins cher que les frais de l’enquête provoquée par les fins limiers du service public. Moralité, à la RTS on privatise le (faux) scoop et on socialise les coûts (de ses erreurs).
Ce biais politique systématique identifié depuis longtemps mais peu contesté par la droite est principalement lié à la monoculture de son personnel. Le plus souvent issu de sciences-po, sociologie, psychologie ou lettres, des branches peu exigeantes où il suffit de répéter à son prof ce qu’il veut entendre pour réussir ses examens, à l’opposé des sciences exactes où l’on doit prouver que l’on maîtrise un raisonnement. Je n’ai connu qu’un seul journaliste à la SSR qui avait une formation de physicien… il a fini à la météo.
Le cas des sports
Depuis quelques années, Le département des sports de la RTS a beaucoup travaillé sur son casting. D’une sympathique bande de mâles blancs, lourdauds, volontiers éméchés mais hautement compétents qui sévissaient dans les années pré-me too, nous sommes passés à une réunion de laborieux qui ferait un triomphe dans un séminaire sur la diversité de l’Université de Genève : des mignons bodybuildés et pumpés à l’avocado toast, des quasi-bègues, des femmes, des femmes de couleur, des hommes de couleur aussi, des obèses, des mâles pénitents, bref de tout, sauf du sport. Oui, parce qu’il y a longtemps que la SSR ne trouve plus moyen d’utiliser les fonds, perçus par l’impôt, pour payer les droits de diffusion des sports nationaux les plus populaires (football, hockey). Trop cher, paraît-il. OK, mais, puisqu’on en parle : nous a-t-on remboursé la part de la redevance qui servait jusque-là à payer ces droits ? Privée des images qui sont, s’agissant de sport, d’une certaine importance (avez-vous essayé de suivre le récit d’un match sur le fil d’actu d’un site de presse écrite ?), nos fins séminaristes nous la jouent alternatif. On sait désormais tout sur les subtilités de la natation synchronisée chez les unijambistes, du tir à l’arc chez les malvoyants, du CrossFit chez les cardiaques et des cycles hormonaux chez les haltérophiles transgenres. En revanche, s’il y a 6 buts marqués dans un derby relevé entre le FC Servette et le FC Sion, on n’en verra que 2 ou 3, au mieux. Handimanche Sport, tous les dimanche soir vers 18h.
Le débat … de l’aile
Beaucoup de contenu et peu de moyens, c’était la règle des débats au temps de Table Ouverte (1966-1996). Une simple table, en effet, autour de laquelle, on débattait avec une certaine rigueur intellectuelle. Des journalistes, Gaston Nicole, plutôt à droite, Claude Torracinta, plutôt très à gauche, se succédaient et rendaient honneur à la démocratie ouverte et directe en provoquant la confrontation des idées avec intelligence et respect. Le débat politique de la RTS d’aujourd’hui a inversé les paramètres : les moyens sont très importants : décor et animateur clinquants comme un catalogue de mode de PKZ mais contenu sacrifié à une juxtaposition de litanies idéologiques sans surprise et resassées par des abonnés venus condamner et non débattre.
Fin de règne
Ni indispensable, ni meilleure, ni plus crédible ou plus proche, la SSR peine à faire la preuve de son utilité sur les critères qu’elle-même invoque. Inventée à la naissance de la radio, au début du siècle dernier, elle a réuni toutes ses qualités lorsque l’information demandait des moyens considérables (dans les années 90 encore, un enregistreur de studio pesait une demi-tonne et des émetteurs géants garnissaient les sommets de la Dôle au Monte Ceneri). Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les producteurs d’information sont pléthores, de qualité comparable pour un contenu similaire et maintenir un acteur subventionné, dans ces conditions, est tout simplement une entorse à la concurrence.
Alors que faire de la SSR ? On votera oui sans hésiter à la prochaine initiative « SSR, 200 francs, ça suffit », histoire d’amorcer un changement profond. Une autre solution serait de la vendre au Parti Socialiste auquel elle sert déjà de service de presse (au frais de tous les contribuables) pour un franc symbolique. A ce prix, les Camarades n’auront pas besoin d’inventer une nouvelle taxe pour se financer.
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