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Writer's pictureChristian Jacot-Descombes

Pourquoi les Papous sont les Grecs du Pacifique

Updated: Aug 11, 2020



Lorsqu’il a posé le pied en Nouvelle-Zélande, en novembre dernier, Behrouz Boochani a été accueilli comme un héros par ses amis et ses collègues journalistes. Il s’est dit soulagé de retrouver la liberté après six ans passés dans le camp de Manus, en Papouasie Nouvelle Guinée (PNG).



Behrouz Boochani, journaliste et demandeur d'asile kurde iranien a passé 6 ans dans le camp de Manus. (photo Hoda Afshar)


Journaliste et demandeur d’asile kurde iranien, il est l’auteur d’un livre écrit en captivité sur son smartphone et transmis page après page via Whatsapp à ses confrères en liberté. No friends but the Mountains : Writing from Manus Prison est le récit de son quotidien sur l’île de Manus en compagnie de centaines d’autres réfugiés. Cela fait de lui le porte-voix des réfugiés en Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNG) et lui a valu d’être l’invité d’un festival littéraire à Christchurch (NZ). Du même coup, il est au bénéfice d’un visa d’un mois au pays de Jacinda Ardern.

Un lieu emblématique

Le camp de Manus est au centre de la problématique de l’exil dans le Pacifique sud. Son existence remonte à la première vague de réfugiés papous issus de l’annexion indonésienne de la partie occidentale de la Papouasie (néerlandaise jusqu’en 1962). Construit et géré par l’Australie afin d’éviter une crise diplomatique, il va plus ou moins rester en service au fil des années selon les aléas de la politique d’immigration australienne face aux vagues de réfugiés qui déferlent par bateau sur ses côtes.

Pays d'immigration

L’Australie moderne est faite d’immigrés. Après les colons bagnards des origines et la ruée vers l’or de la fin du 19e siècle, la vague la plus importante est liée à la Seconde Guerre mondiale. On l’estime à près d’un demi-million de personnes. Principalement des Européens. On parle alors de White Australia Policy.

LaWhite Australia Policydes années 50 vise à maintenir l'Australie aussi "british" que possible.

C’est dans les années 1970 que débute l’immigration vers l’Australie par bateau. Les Boat People vietnamiens tout d’abord, puis de nombreux migrants de l’ensemble de l’Asie fuyant le communisme et ses aléas. Ainsi, 50 000 Vietnamiens, entre autres, s’installent down under. Cette Open Door Policy n’est à ce moment-là pas remise en cause par les politiques australiens.


Le nombre de réfugiés arrivant par bateau augmente dès les années 2000 en provenance principalement du Moyen-Orient. Renforcés dans leur sentiment de défiance à l’égard des Musulmans par les attentats du 11 septembre, les Australiens thématisent la problématique et inventent la Pacific Solution qui consiste à traiter les demandes d’asile hors du territoire australien, notamment en PNG qui devient la porte d’entrée vers l’Australie à l’image de la Grèce en Méditerranée. Dès lors, entre fermeture provisoire et réouverture, le camp de Manus vit au rythme des changements de majorité politique en Australie.

La PNG Solution

En 2013, le Premier ministre australien de gauche, Kevin Rudd, signe un accord avec son homologue papou Peter O’Neill. Selon cet accord, les réfugiés arrivés par bateau sans visa pour l’Australie sont admis en PNG, peuvent s’y installer mais perdent le droit de demander asile en Australie. Pour l’occasion, Manus est agrandi et rebaptisé « centre de traitement ». Il va sans dire que cet accord s’accompagne d’un arrangement financier qui fournit une aide considérable à la PNG, pays pauvre en proie à la corruption, aux luttes tribales et qui risque de perdre Bougainville, une province qui vient de voter son indépendance et pourrait devenir la 194e nation reconnue par les Nations Unies.

Une aide financière importante

L’argent australien a par exemple financé le magnifique musée d’Art de Port Moresby mais a aussi servi à importer quarante Maserati pour transporter les chefs de gouvernements réunis l’an dernier en PNG à l’occasion d’une réunion de l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation).




Le musée d'art de Port Moresby a été entièrement financé par les Australiens. 

Le moins que l’on puisse dire est que la PNG ne correspond pas vraiment au rêve australien qui a nourri les espoirs de nouvelle vie des réfugiés. 45edans le classement des pays les plus pauvres du monde, populations hostiles, violence endémique: la plupart des réfugiés craignent de s’y installer et ont refusé de quitter le camp. Certains ont pu partir aux Etats-Unis dans le cadre d’un accord passé avec l’administration Obama et appliqué par le Président Trump qui a accepté 500 réfugiés de Manus. En échange de quoi, l’Australie a accueilli des réfugiés d’Amérique Centrale.

Délogés de force, ceux qui n’ont pas pu partir ont été installés à Port Moresby à la suite de la fermeture définitive de Manus il y a dix jours. Pour certains dans un profond désarroi. Les automutilations et les tentatives de suicide sont fréquentes selon Behrouz Boochani qui est toujours en Nouvelle-Zélande. 

Il espère pouvoir migrer aux Etats-Unis. A moins qu’il ne suive le conseil d’un internaute américain: « Si j’avais à choisir entre les Etats-Unis et la Chine aujourd’hui, je choisirais Beijing, un endroit formidable pour vivre, monter un business et faire un paquet d’argent ! ». 

En attendant, il a dépassé la limite de son visa et la tension monte entre Auckland et Canberra car, si l'asile lui est accordé en Nouvelle-Zélande, il pourrait en vertu d'un accord entre les deux pays, se rendre et travailler librement en Australie. Or, Canberra a déjà averti qu'il serait interdit d'entrée...


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