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  • Writer's pictureChristian Jacot-Descombes

L’émergence du journalisme pusillanime

Updated: Aug 11, 2020

La dernière édition de Time avec Donald Trump en couverture illustre la peur du débat direct et de la confrontation des idées. On ne cherche pas la contradiction mais la décrédibilisation de son opposant.




« Du journalisme douanier ! ». C’était l’expression favorite de l’un des mes anciens collègues journalistes pour définir ces interviews très complaisantes auxquelles se livrent parfois certains membres de la profession. N’ayant aucune idée du dossier, aucun intérêt pour le sujet ou tout simplement pas eu le temps de préparer la rencontre, l’essentiel des questions se résume à « qu’est-ce que vous avez à déclarer ? » D’où l’allusion à nos amis fonctionnaires des frontières. C’est assez cruel mais, somme toute, assez juste.


Deux approches distinctes


On distingue généralement deux approches : l’interview de connivence et celui dit de rupture. Le premier est plutôt utilisé pour de longs entretiens souvent consacrés à l’œuvre d’une vie ou une grande carrière. C’est une approche volontiers biographique qui recherche une certaine complicité avec le sujet. De l’autre côté, l’interview de rupture est tout le contraire. C’est typiquement l’interview politique. Le politicien est là pour défendre ses arguments, le journaliste, en face, est supposé mettre ces arguments à l’épreuve d’un questionnement critique et, bien sûr, documenté. C’est ainsi qu’on obtient, en principe, des débats riches, que l’on approfondit les sujets et que l’on teste la solidité de l’interviewé. C’est du moins ce que l’on apprenait autrefois dans les écoles de journalisme.


Time et Trump


Le dernier numéro de Time Magazine, fleuron de la presse américaine propriété du milliardaire californien Marc Benioff, est largement consacré à l’interview que lui a accordé le Président Trump le 17 juin. Cette interview a donné lieu à trois traitements principaux dans le magazine. L’interview elle-même est exploitée sous forme de citations dans une long article – une story – qui met les propos de Trump en perspective de sa campagne de réélection dans un récit qui en explore également le dispositif. On a donc un mélange de reportage et d’interview. Le magazine explique aussi le making of de la rencontre et de la photo de couverture où l’on apprend que l’interview a duré 57 minutes (soit 27 de plus que prévu) et que les journalistes de Time étaient… quatre (dont le rédacteur en chef). Jusque-là, rien de bien particulier sinon que Time étant un des médias américains qui ne traitent le sujet Trump qu’à charge, on pouvait éventuellement s’étonner que le Président accepte l’exercice.


Le fact checking post interview


Mais la surprise vient du troisième angle intitulé : Fact-Checking TIME's Oval Office Interview With Donald Trump, c’est la rubrique « contrôle des faits ». Ici, on reprend des citations du Président lors de l’interview et on démontre à quel point elles sont plus ou moins conformes à la réalité des faits et des chiffres. Rien à dire sur le principe. En revanche, ne pouvait-on pas s’attendre à ce que ces journalistes (au nombre de quatre, en plus !) connaissent suffisamment bien leur dossier pour contredire le Président sur ces faits imprécis ou faux au moment où ils étaient en face de lui ? Ne peut-on imaginer un peu plus de courage ? Celui qui consiste à interrompre en disant : « je crois que vous vous trompez » et en suscitant une nouvelle réaction ? Celui qui consiste aussi à laisser une chance à l’interviewé d’expliquer – de manière convaincante ou non, le lecteur en jugera – son interprétation des faits ?


S’agit-il de la forme post-moderne du journalisme « douanier » : le journalisme pusillanime ?


Comme sur les réseaux


Ce traitement de Time fait penser à cette courageuse féministe qui l’autre jour s’en prenait sur Facebook à Marie-Hélène Miauton, à la suite de sa prise de position sur la grève des femmes dans le blog du Temps, en expliquant, avec tout le mépris dont sont capables les idéologues de la bien-pensance dominante, que lorsqu’elle sentait ses convictions gauchistes faiblir (…), elle lisait M.-H. Miauton et que du coup, elle se sentait requinquée. Aurait-elle osé ce mépris en direct ? Pas sûr. D’autant plus que ses chances de rivaliser intellectuellement, dans ce qu’on appelle un débat, avec Marie-Hélène Miauton la condamnait sans aucun doute à une humiliation sévère.


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