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Writer's pictureChristian Jacot-Descombes

Darius Rochebin, l'armée mexicaine et la redevance




« Vous qui avez passé presque 20 ans à la RTS, vous êtes surpris ? » ou alors, plus insidieux : « Comme les autres, vous saviez pour Darius ? » Si l’on a touché aux médias de service public durant les dernières décennies, ce sont des questions auxquelles on a de la peine à échapper en ce moment.

Darius ? oui, on savait que ce brillantissime journaliste menait une vie un brin différente de l’image de gendre moyen qu’il entretenait avec talent, en maître parfait du self-marketing. On ne devient pas un abonné des pages de l’Illustré sans y mettre du sien. Un puissant retour de flamme de la profession et voici donc sa carrière ruinée au moment d’atteindre à la gloire parisienne (le nirvana des journalistes romands). On ne va pas s’apitoyer sur son sort. Il a été lui-même le premier à tirer, avec plaisir, sur des cordes dont l’autre extrémité s’est révélée un mortel nœud coulant pour ses victimes. Mais on ne peut pas non plus ignorer l’hypothèse d’une certaine Schadenfreude du métier. Celle d’un rejet jaloux du succès d’un professionnel au-dessus de la mêlée (un coup d’œil à ses remplaçant.e.s – surtout le weekend – suffit à s’en convaincre) par un système en voie de paupérisation qui trouve dans la cancel culture, à la fois, une fin et un moyen. Cela expliquerait, par ailleurs, le moment du déclenchement de cette affaire qui n’en est qu’une parmi tant d’autres bien plus graves.

Déjà dans les années 90

Car oui, la RTS est depuis longtemps rongée par certains démons. Dès les années 90, il existe un espace de liberté pour des déviances pédophiles. Ces sont des animateurs d’émissions pour la jeunesse (!) dont l’un est également professeur dans un collège lausannois (un terrain de chasse pratique) recherché par Interpol en Haïti où il s’est enfui pour des actes de pédophilie graves. Un haut responsable technique à la TSR emprisonné pour le même type de délit. Quelques années plus tard, c’est un cadre de l’information à la RSR qui doit sortir par la petite porte pour des faits similaires. Plus tard encore, c’est un chef d’antenne de la radio, qui se révèle collectionneur de photos de (très) jeunes filles sur l’ordinateur du travail. Au total, ce sont une demi-douzaine de cas[i] qui interviennent déjà bien avant les affaires actuelles. Régulièrement et aussi discrètement que possible.

Si les personnes qui ont enfreint la loi ont bien été poursuivies par la justice, il n’y a en revanche pas eu de sanctions fortes ou de licenciement dans la hiérarchie de ces personnes. Juste des placards (à Berne en général). C’est un système de couverture propre aux espaces protégés : on lave son linge sale en famille. Darius l’ayant quitté, les langues se sont déliées.

On ne doute pas d’une vocation

Pourquoi cet espace de liberté pour comportement déviant se trouve-t-il dans certains endroits, comme l’église catholique ou les médias de service public suisses, plus volontiers que dans d’autres ? Il est probable que cela ait à voir avec la vocation.

On se méfie moins de quelqu’un qui agit (ou prétend agir) par vocation. Flagrant dans l’église catholique, où les cas se sont multipliés dans un contexte comparable : omerta, règlement discret à l’interne, placardisation dans les étages dorés de la hiérarchie, le phénomène est tout aussi présent dans les médias. Où l’on pratique souvent des métiers par vocation. A combattre les injustices, à défendre la veuve et l’orphelin (avant de les convoiter ?), à combattre la fraude fiscale, à défendre les minorités, à éduquer les têtes blondes, etc. Or, une personne qui se voue au Bien est par définition insoupçonnable (comme l’étaient les prêtres avant que la vérole ne s’abatte sur le bas clergé et que le bon peuple commence à se douter de quelque chose). Dans ces conditions, à quoi bon contrôler ? D’autant plus que s’il y a bien une qualité que les managers des médias, spécialement dans le service public, n’ont pas, c’est l’autorité. En général, on devient un manager parce qu’on est un bon journaliste, un bon animateur ou un bon technicien. Rarement parce qu’on a du charisme. Résultat, l’organisation perd un bon professionnel, gagne un mauvais chef et n’a personne pour gérer les situations difficiles telles que les déviances que connaît la RTS sans jamais les prendre en main. On notera au passage que cette réalité ne s’applique malheureusement pas qu’aux cas de déviance comportementale. C’est malheureusement aussi souvent le cas pour le core business, soit l’information. Parmi les industries importantes aujourd’hui, celle des médias est la seule qui ne dispose pas d’un système de contrôle ou de certification de ses produits, de type ISO par exemple. Pourtant, le système a ceci de particulier que si une information erronée est publiée, elle a un impact négatif que n’annulera en aucun cas le rectificatif obtenu, souvent, de haute lutte. A tel point que les victimes d’erreur – en particulier les entreprises – renoncent parfois à demander une rectification pour ne pas aggraver l’impact de l’erreur initiale. Les Vaudois ont un mot pour ça : « qui répond, appond ».

Un système qui n’a pas à se soucier de sa survie économique

Comment se peut-il qu’une institution aussi importante puisse perdurer sans exercer aucun véritable contrôle sur son fonctionnement ? Certains évoquent le copinage qui favorise la cooptation : on nomme – abondamment : on parle volontiers d’armée mexicaine – des chefs qui sont du même clan, de la même idéologie ou du même canton. On ne peut pas écarter cette hypothèse, tout comme celle du petit jeu du « je te tiens, tu me tiens par la barbichette » entretenu avec les politiciens de tous bords, trop heureux de venir rappeler leur existence à des micros et des caméras qui leur tendent les bras. Le service public a toutefois une particularité : financé par la redevance, il n’a pas à se soucier de sa survie économique. C’est un privilège que chaque membre de l’organisation consent à préserver à tout prix. Au bénéfice d’une véritable distorsion de la concurrence dans un domaine qui est l’un des plus profondément remis en question par la révolution numérique, le service public avance couvert. Pas de vague et tout ira bien. Il suffit de rester droit dans ses bottes au moment d’affronter une petite tempête de temps à autre, de type No Billag, en s’appuyant sur les fidèles, ceux qui pensent qu’il est normal que chacun paie pour leur émission de jass, de jardinerie, de musique populaire et pour leurs matches de football (ceux-là ont déchanté depuis la votation). Assuré de ses revenus quoi qu’il arrive, soutenu par les générations anciennes, les politiques avides de notoriété, les nostalgiques du monopole et la gauche qui l’adore, le service public a toujours pu survivre à ses dysfonctionnements. Jusque-là.

Peut-être serait-il temps de rendre la redevance libre et volontaire. L’institution, sans disparaître, pourrait alors adapter sa taille à celle de sa clientèle réelle, organiser sa hiérarchie sur des principes de compétence et retrouver le respect de la mission qu’elle s’assigne.

[i] Les noms des personnes mentionnées ont été publiés dans la presse.

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