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  • Writer's pictureChristian Jacot-Descombes

De Musk à Netflix: la détestation de l'intelligence

Updated: May 5, 2022


Reception Desk, 1355, Market Street, San Francisco (©CJD)

On aurait pu imaginer que les parangons de vertu qui se plaisent à nous expliquer comment penser juste se réjouissent du fait que l’homme le plus riche de la planète soit un africain-américain. Il n’en est rien. Tout au contraire. Elon Musk (né à Pretoria) est, sans répit, sous le feu des attaques de la bien-pensance. Trop riche, trop puissant, trop blanc, il collectionne les défauts qui en font l’ennemi de la pensée juste. Et voilà maintenant qu’il s’en prend à la liberté de censurer. Quel culot ! On imagine la consternation au 1355 Market Street, siège de Twitter : des geeks très chics, tous millionnaires, pétris de la pensée woke dominante de San Francisco se lamentant de voir que leur capacité de bannir du réseau ce qu’ils considèrent comme déviant, va disparaître sous l’ère du nouveau propriétaire.

Chez Twitter, des geeks très chics. (©CJD)

Le mépris

Du succès, de l’ambition, Elon Musk possède les atouts qu’on aime détester, parmi lesquels aussi celui d’être intelligent, un peu trop intelligent. Il en va ainsi. On a beau avoir inventé la voiture électrique (Tesla), déclassé la NASA (SpaceX) en créant des fusées réutilisables, pénétré des circuits neuronaux (Neuralink) et permis aux Ukrainiens de rester en ligne malgré la guerre (Starlink), tout cela avant l’âge de 50 ans, ça n’empêche pas qu’on vous méprise et qu’on vous donne des leçons. Ça ne retient pas les plumitifs du bon droit de disserter sur le bien et le mal fondé de vos décisions (la presse en général) et les politiciens de basse souche de vous conseiller, notamment sur l’usage de votre argent (Elisabeth « Pocahontas » Warren, sénatrice US démocrate, en particulier).


La foi plutôt que la raison

Dans le grand combat qui oppose aujourd’hui la logique et la morale, c’est la dernière qui gagne. A tout le moins dans le vacarme ambiant, c’est elle que l’on entend le plus. Ceux qui fondent leur action sur la logique passent pour des arrogants, des profiteurs ou au mieux des opportunistes du système. Alors qu’il suffit de venir pleurnicher ses émotions devant une caméra au nom d’on ne sait quelles valeurs plus ou moins religieuses ou de convictions de l’ordre de la foi* pour être hissé au rang de sauveur du monde (et rejoindre ainsi les lanceurs d’alerte et les cyclistes, ces héros modernes.)


McKinsey: une mission, des valeurs mais surtout des cerveaux. (©CJD)

Le vrai scandale

Dans la campagne présidentielle française s’achevant, le phénomène s’est illustré de plusieurs manières. « L’affaire Mc Kinsey » notamment. Ses opposants ont cru pouvoir déstabiliser le Président-candidat en lui reprochant d’avoir eu recours au cabinet de conseil américain pour épauler certains services publics. Ils ont évoqué la question de l’optimisation fiscale, mais on sentait bien que le reproche essentiel portait sur le recours à de brillantes compétences** fondées sur la logique et le rationnel qui, manifestement, devaient faire défaut à certains services publics***. Or, le scandale n’est-il pas plutôt là ? A quoi sert une administration coûteuse si l’on doit faire appel à des cerveaux bien faits lorsque des affaires courantes s’avèrent un peu plus compliquées qu’à l’ordinaire ? A-t-on songé à mettre en congé non payé les fonctionnaires dont les consultants ont fait le travail ?


L’arrogance, pas l’intelligence

Lors du débat de l’entre-deux tours, on a assisté, tout comme cinq ans auparavant, à un combat très inégal entre d’un côté l’intelligence et de l’autre les (bons ?) sentiments … dira-t-on pour être poli. On a assisté, avec douleur presque, à ces leçons d’économie élémentaire voire de calcul qui ont laissé la candidate malheureuse pantoise, muette, incapable de la moindre réaction articulée quand son adversaire lui assénait quelques traits imparables parce que simplement logiques. Or, qu’a-t-on vu ou entendu après le débat ? Du côté, de la candidate, une plainte ad nauseam, au sujet de « l’arrogance » de son adversaire. Pas un mot, après le temps de la réflexion, sur ce qu’elle aurait pu rétorquer dans les moments de silence induits par son incompétence. De même dans l’écho médiatique du débat : quasiment pas un mot sur l’incompétence de l’une. Rien sur la brillante intelligence de l’autre mais tout sur son arrogance…


La loi Netflix aussi

Ce mépris de l’intelligence et de son principal avatar, le succès, se cache également dans la volonté, en Suisse, de taxer Netflix. Née du génie de Reed Hastings, un représentant en aspirateur fatigué de faire du porte à porte, Netflix est une réussite exceptionnelle qui a permis, au-delà du streaming, la production de nombreux chefs-d’œuvre dont le pire tort aux yeux des nostalgiques du « film d’auteur » est d’avoir plu à un vaste public. Face à cela, quel est le réflexe des fonctionnaires de la culture ? Décrocher des stages chez Netflix à offrir aux jeunes cinéastes en devenir afin de leur permettre de découvrir sur place des pratiques state-of-the-art ? Consacrer une part de la redevance SSR à l’achat d’abonnements Netflix afin de faciliter l’accès des contribuables à un vrai divertissement de qualité ? Non, bien sûr.


Maintenir l’entre-soi

On préfère taxer. Mais, au nom de quel raisonnement farfelu peut-on imaginer un seul instant qu’un pays, comme la Suisse, qui n’a pas de grande disposition naturelle pour le cinéma mais qui en a d’autres (pour l’innovation technologique, pour la démocratie directe, pour la fiscalité un peu moins confiscatoire qu’ailleurs, pour la naturalisation des footballeurs albanais, etc.) puisse tout à coup faire émerger des chefs d’œuvre du 7ème art en taxant Netflix ? L’idée n’est évidemment pas là. Le but est de financer le système d’aides et de subventions qui constitue un petit milieu où règne l’entre-soi, où on se montre dans les festivals (en Suisse, c’est à Locarno) et où, surtout, il s’agit de maintenir un cinéma d’auteur qui est « produit pour être financé, pas pour être vu », comme le dit finement le jeune producteur et scénariste français Laurent Rochette**** (« Paris est à nous », « Années 20 »). En refusant ce nouvel impôt, car c’est bien de cela qu’il s’agira lorsque Netflix aura adapté ses tarifs et restreint sa tolérance sur le partage des accès, les Suisses feront preuve d’intelligence. Quitte à se faire détester.

* On consultera avec intérêt l’ouvrage Woke Racism: How a New Religion Has Betrayed Black America, de John McWhorter (2021). Ce professeur de linguistique à la Columbia University de New York démontre comment le wokisme efface la logique au profit d’un système moral de type religieux qui a pour effet, notamment, d’être nuisible à ceux qu’il prétend défendre.

** Quiconque a travaillé avec des consultants sait qu’ils sont triés sur le volet et embauchés en fonction de leurs aptitudes intellectuelles supérieures, dans le domaine des STEM de préférence. On y trouve beaucoup d’ingénieurs, parfois un brin autistes mais capables de résoudre sans broncher, sans répit et, surtout, sans faute de redoutables problèmes.

*** Boris Johnson a appliqué la même recette en confiant la gestion de la vaccination à une consultante. Avec succès.

**** « C’est arrivé demain » de Fréderic Taddeï sur Europe1, le 24 avril 2022.

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