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Writer's pictureChristian Jacot-Descombes

Biennale de Venise : le conformisme obligé des artistes subventionnés


"Venice Void", 2022. Jana Euler, Allemagne

Malgré le coup de pouce enchanteur des lumières vénitiennes de l’été indien (dont il est interdit de se réjouir tant on nous a répété qu’il devait nous inquiéter), l’Exposition internationale d’art contemporain peine à cacher son coup de vieux. La Biennale de Venise, c’est un peu « Mort à Venise » mais sans Venise : triste, décrépi, moite, usé, sale, fatigué. Un alignement de pavillons d’un autre âge à l’effigie de nations, certaines sur le déclin, d'autres déjà disparues (Tchécoslovaquie et Yougoslavie) ou malvenues (Russie). Il faut compter sur les expositions en marge de la Biennale pour satisfaire une quelconque envie de créativité et d'originalité.

Intitulée Milk of the Dreams, la 59ème édition de la Biennale s’achèvera à la fin du mois. Comme à l’accoutumée, elle est supposée présenter, sur le modèle de l’expo universelle, le meilleur de l’art contemporain de chacun des pays présents. Ce sont donc leurs administrations en charge de la culture qui désignent et financent les artistes. C’est probablement là l’erreur qui plonge l’événement dans un gouffre de conformisme accablant, soumis aux idéologies dominantes. Si votre projet ne comporte pas au moins une dose significative de féminisme, d’écologisme, d’égalitarisme, un questionnement sur l’identité du genre, quelques solides clins d’œil à la théorie critique de la race, une condamnation du colonialisme, du paternalisme ou de la toxicité masculine – le mieux étant évidemment de cumuler plusieurs critères – alors vous n’avez rien à aller faire à Venise : passez votre chemin et vogue la gondole ! L’esprit de la Biennale, c’est comme un séminaire à l’Université Carl Vogt ou une émission de sport de la TSR : un cours de wokisme accéléré.


Le pavillon Sami (ex-scandinave)

Le Sámi étant plus enclin à l’élevage qu’aux arts plastiques, l’expo présente des estomacs de rennes.

Jamais en manque de montrer l’exemple, les Scandinaves se font une sorte de hara-kiri nordique et expiatoire en cédant leur pavillon à leur propre victime, une minorité comme il n’en reste pas beaucoup en Europe : les Sámi. Ce peuple d’éleveurs de rennes du nord de la Scandinavie est une perle rare en matière de minorité oppressée. Dans le passé, il a été « civilisé » par les Norvégiens et les Suédois qui lui ont imposé leur langue. Dans le futur, il est exposé via le réchauffement à la fonte de son environnement. Il n’en faut pas plus à la directrice norvégienne du bureau des arts contemporains pour capituler : "La pandémie mondiale, l'impact du changement climatique et les appels mondiaux à la décolonisation nous amènent tous à nous concentrer sur des possibilités alternatives pour notre avenir et celui de notre planète. En ce moment charnière, il est vital de considérer les modes de relation des autochtones avec l'environnement et les uns avec les autres." Autrement dit : Winter is coming avec, au menu, civet de rennes pour tout le monde.


Le pavillon suisse

Après Expo 02, la manifestation nationale dont il ne devait rien rester, voici l’expo qu’on ne voit pas et qu’on n’entend pas et qui, donc, logiquement, s’intitule « The CONCERT ». Œuvre d’une artiste conceptuelle franco-marocaine désignée par Pro Helvetia, elle présente de grandes sculptures de bois plus ou moins calcinées parcimonieusement éclairées au stroboscope dans l’obscurité et le silence. Pas anodin mais DéCONCERTant (si l’on ose).

« The CONCERT », 2022. Latifa Echakhch. France et Maroc. Peut-être une version helvétique de Don’t look up : ça brûle mais on ne le voit pas ?

Pavillon de la France (post-coloniale… enfin, à peine)

La culture officielle hexagonale a, elle, confié son pavillon à une artiste franco-algérienne. Zineb Sedira a transformé le lieu en studio de cinéma dans une subtile mise en abyme. Son film est un regard en arrière, forcément douloureux et un brin plaintif, sur la fin de la colonisation en Algérie qui remonte tout de même à 1962.


"Les rêves n'ont pas de titre", 2022. Zineb Sedira, France. Vous avez dit : art « contemporain » ?


Pavillon de l’Allemagne

Du côté des artistes allemands, on est à la fois dans l’introspective et l’expiation. Maria Eichhorn s’attaque au pavillon lui-même qu’elle déconstruit, au sens propre, afin d’en révéler les strates historiques et politiques. Dans sa forme actuelle, le bâtiment remonte à Hitler qui avait souhaité remplacer l’ancien pavillon de la Bavière pour quelque chose de plus musclé. Porteur de tous les stigmates d’un passé qui exige des excuses, ce bâtiment à colonnades est du pain béni pour un artiste engagé. Durant la Biennale, l’exposition du pavillon est même accompagnée de visites guidées du ghetto juif de Venise (tout à fait intéressant par ailleurs).


"Relocating a Structure", 2022. Maria Eichhorn, Allemagne. Déconstruction du pavillon : une exposition peu coûteuse (jusqu’à la reconstruction)

Pavillon des Etats-Unis

Entièrement dédié aux œuvres de Simone Leigh, le pavillon américain présente une exposition intitulée « Sovereignty ». Egérie du « black feminism », Leigh a été commissionnée par le département d’Etat des affaires culturelles et de l’instruction. La souveraineté dont il est question ici, « c'est ne pas être soumis à l'autorité, aux désirs ou au regard d'autrui, mais plutôt être l'auteur de sa propre histoire ». Une profession de foi qui ne saute pas directement aux yeux à la vue de ces splendides pièces. Mais si elle nous le dit…

"Sphynx", 2022. Simone Leigh, USA. Des sculptures qui « interrogent l'extraction d'images et d'objets de la diaspora africaine […] au service des récits coloniaux ».

Le spectre de Salazar

Dans le pavillon principal, Paula Rego produit des figures inquiétantes qui lui permettent de régler des comptes avec une enfance affectée par la dictature de Salazar au Portugal dans les années 70. Elle dénonce plus particulièrement l’oppression et la violence institutionnelle faite aux femmes sous le dernier régime avant la démocratie. Une douleur légitime et respectable mais qui remonte tout de même à plus de 50 ans.

"Oratorio", 2009. Paula Rego, Portugal & Grande Bretagne. Agée de 87 ans, Paula Rego est décédée ce printemps durant la Biennale.

Bref, hors de ce torrent d’expiation, de tourments victimaires et de correctitude politique, point de salut ?

Si bien sûr. Et il vient d’Asie. Sans surprise.


Le pavillon de la Corée

On respire enfin en s’envolant dans un univers créé par Yunchul Kim, un artiste transdisciplinaire qui remplit le pavillon de ses étranges créatures robotiques. On est ici dans une autre dimension, atemporelle, libérée de la mélancholie et des obsessions passéistes qui dépriment l’Occident en crise. Une liberté d’esprit que l’on retrouve chez d’autres artistes asiatiques, présents à la Biennale et qui interrogent volontiers le rapport de l’humain à la technologie dans ses dimensions les plus intrigantes : pouvoir de l’intelligence artificielle, transhumanisme, etc.


"Chroma 5 Gyre", 2022, Yunchul Kim, Corée du Sud

Hormis ces exceptions extrême-orientales, l’art institutionnel promu par les ministères de la culture et, le plus souvent aussi, des sports et de la jeunesse fait donc à Venise la preuve de son ennui profond et de son conformisme bien intentionné. Il y a toutefois moyen de satisfaire son appétit pour la créativité avec les initiatives privées qui fleurissent dans la ville à chaque coin de canal, investissant les églises et les palaces durant le temps de la Biennale.


"Museum-scale eyes open with black mat suit and Gold cup", 2021. Carole Feuerman, USA

On admirera ainsi les figures hyperréalistes de Carole Feuerman, des baigneuses immenses qui transforment l’église Santa Maria della Pieta en piscine mystique.

Ou encore la gigantesque Scuola Grande della Misericordia où Oscar Murillo présente Frequencies, un travail monumental, lancé en 2013, et qui a consisté à fixer des toiles vierges dans 350 écoles à travers le monde en demandant aux élèves d’y déposer le fruit de leur imagination. Résultat : l’artiste colombien expose ainsi près de 40'000 toiles rassemblant les marques de centaines de milliers d’étudiants à travers le monde. Enfin, il ne faut pas manquer non plus les quatre lieux vénitiens de Personal Structures, des expositions remarquables de modernité et de créativité qui se fondent avec bonheur dans les palais de la Cité des Doges.


"Frequencies", 2021. Oscar Murillo, Colombie. Quelques unes des 40'000 toiles exposées .

Des lieux paisibles qui permettent d’échapper momentanément à la foule qui s’abat sur Venise comme la vérole sur le bas-clergé. Une plaie mortelle qui rend l’expérience vénitienne douloureuse. Pour peu, la Biennale vous rendrait malthusien. Difficile de ne pas songer (à tort) aux méfaits de la surpopulation lorsqu’on observe cette visiteuse grisonnante et un brin revêche – une sorte de version cultivée de Sandrine Rousseau – toute à sa joie castratrice de couper la queue pour les toilettes hommes et de s’y introduire prétextant qu’elle est moins longue que celle des femmes. Aurait-on atteint ici le stade ultime de la parité ?





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