Avec une pointe d’accent britannique, le jeune garçon sert nos cafés avec un grand sourire. Il s’assure que tout se passe bien dans un anglais châtié et fluent. Rien de surprenant sinon que nous sommes attablés à la terrasse d’un café de… Vilnius, capitale de la Lituanie, et non pas de Covent Garden, capitale du shopping londonien.
-Où avez-vous appris ce parfait anglais ?
-Ici. Pourquoi ?
Et le jeune homme de nous expliquer, en toute modestie, qu’à l’âge de quatre ans, il parlait déjà très bien la langue de Ricky Gervais. A tel point qu’en entrant à l’école, il était déjà largement plus à l’aise que son professeur d’anglais. « La faute à Cartoon Network, rigole-t-il. En Lituanie, les dessins animés, tout comme les séries, ne sont pas traduits dans la langue locale. Du coup… c’est quasiment venu tout seul. »
Bloody Lingua Franca !
Ils sont nombreux ces jeunes européens de l’Est qui n’ont pourtant jamais mis les pieds plus loin que le pourtour de la Baltique à être parfaitement anglophones. Essayez seulement de demander à une vendeuse polonaise si elle parle anglais ! Vous recevrez en retour un « of course » dont le ton indique aussi bien l’agacement que la fierté. Pour eux, la question de la langue dominante ne se pose tout simplement pas. Un peu, au fond, comme dans l’Union européenne où l’anglais n’est officiellement qu’une des 24 (!) langues officielles mais, en réalité, la langue d’usage et de travail incontestée. Pourtant, à bien y compter, depuis la sortie de la Grande Bretagne de l’Union, l’anglais n’est plus la langue officielle que de deux états membres : l’Irlande et Malte, soit 1,2% de la population européenne. De quoi énerver nos amis français qui revendiquent près de 15% de cette même population. Mais c’est ainsi. L’anglais est omniprésent. Il est précis, sa richesse lexicale (270'000 mots contre 130'000 pour le français) lui permet une plus grande concision et fournit un excellent support à la formulation claire des idées. De plus, l’anglais déborde largement des frontières de l’Europe, il est donc une possibilité de lien partout dans le monde.
Des couleuvres hard to swallow
L’Europe politique doit donc se résigner à l’accent germanique de Ursula Gertrud van der Leyden, présidente allemande de sa commission et aux rugosités un brin bégayantes de Charles Michel, son président belge du Conseil, lorsqu’ils présentent en anglais les positions de l’Union. C’est une couleuvre à avaler face au monde anglo-saxon. Ce n’est pas la seule. Le domaine militaire est aussi devenu le terrain de cruelles désillusions. On passera rapidement sur l’échec de la vente des avions de combat européens à l’armée suisse. Après un coup d’œil approfondi sous le capot, les experts suisses ont opté pour le modèle américain. Scandale ! Comme si le seul fait qu’ils soient européens n’était pas suffisant pour qu’on les choisisse ! La gauche, viscéralement anti-américaine, a promis de ne pas laisser faire : elle fera tout pour que l’armée suisse revienne en arrière. C’est vrai que si l’on veut sa disparition, il y a tout intérêt à ce qu’elle soit mal équipée : (idéo) logique !
La menace chinoise
L’affaire des sous-marins australiens est du même métal. Entre des navires à moteur diesel, made in France, et des engins à propulsion nucléaire (donc écologiquement propres !) made in USA-UK, les Australiens ont tranché. Ils se sont rendu compte qu’on tentait de leur refourguer une Peugeot 308 à l’heure de la Tesla X. Mais au-delà de cette évidence technologique, l’affaire des sous-marins qui fait tellement tousser les édiles français et européens est édifiante à double titre.
En premier lieu, elle signifie que la menace chinoise dans la région Asie-Pacifique - réel centre de gravité de la géopolitique du 21ème siècle - est enfin prise au sérieux par les pays directement concernés, soit tout le monde sauf l’Europe et l’Afrique. Il suffit d’ailleurs de se rendre en Papouasie-Nouvelle-Guinée, à quelques centaines de kilomètres de Sydney, pour se rendre compte de l’ampleur de la prise d’influence de la République populaire qui agit sous le radar en investissant discrètement la région à travers ses contrées les plus pauvres*. Côté australien, l’influence grandissante de la Chine de Xi n’est pas ressentie comme un vague danger lointain et exotique. Scott Morrison, le premier ministre libéral, le sait bien. «Scomo» a eu le malheur de demander des comptes sur les origines du virus. En représailles, il doit affronter toute une série de sanctions (taxes à l’importation, citoyens australiens retenus en Chine, etc.).
En second lieu, cette affaire consacre le retour tangible de ce que l’on appelle l’anglosphère. On en avait vu les prémisses dès le lendemain du Brexit. Déjà, le monde anglo-saxon avait discrètement salué la renaissance concrète et bienvenue de cette alliance géolinguistique chère à Churchill qui unit naturellement le Royaume Uni, les Etats-Unis, le Canada, l’Irlande, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Trump en tête à l’époque évidemment, Biden maintenant, mais aussi les Australiens qui ont franchi un pas de plus en choisissant désormais, avec leurs sous-marins, de se ranger sous le parapluie Anglo-américain. Pour eux, le salut ne peut venir que des gens qui leur paraissent fiables, parlent la même langue, mettent Elisabeth sur leur billet de banque, voire Kamala (bientôt) au sommet de leur pouvoir.
* Rapportée à la manière dont les managers – communistes chinois – qui gèrent les petits commerces de Port Moresby traitent le petit personnel papou, la période coloniale allemande doit aisément passer pour le «bon vieux temps». La Papouasie-Nouvelle-Guinée s’appelait à l’époque Nouvelle-Poméranie. Elle est restée colonie allemande jusqu’en 1914.
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